La «tragédie des communs», c’est-à-dire la tendance universelle à la surexploitation des ressources partagées, est un phénomène bien connu en économie. Heureusement, Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie, a montré que certaines formes de gestion collective comme les règles négociées autour du consensus ou l’application de sanctions étaient les plus efficaces pour préserver les ressources sur le long terme.
Avec la numérisation et l’essor du web, les communs sont devenus omniprésents dans notre société. Ils offrent un formidable potentiel de synergies collectives mais ne sont pas sans poser beaucoup de questions liées à la propriété, au transfert des connaissances et à la conservation du patrimoine culturel numérisé. Comment apprendre à tirer profit des communs à l’école? C’est l’enjeu central de ma discussion avec Hélène Mulot.
Hélène Mulot: C’est exactement la question que nous nous sommes posée avec Marion Carbillet lorsque nous avons découvert le livre «Libres savoirs – Les biens communs de la connaissance». Les communs couvrent un large champ et vont bien au-delà de l’économie. En lisant ce livre, nous nous sommes rendu compte que les communs touchent de nombreux domaines: la santé, la recherche, la science, l'agriculture, la culture et aussi l'éducation (à travers les licences). La question des communs à l'école n'était pas clairement posée: comment penser ces liens communs et école? On vivait à ce moment-là le boom du numérique et des plateformes en ligne qui ont offert une porte d’entrée pour les communs à l’école. Wikipédia, réseaux sociaux, informations en libre accès abondantes captées par les grandes plateformes, ressources numériques partagées…
En la faisant d'abord vivre pour les plus jeunes, hors Internet. Cela me semble vraiment essentiel. Au bout de quelque temps, nous nous sommes dit que ce n’était pas suffisant d'apprendre les communs par cette porte d’entrée du numérique. Parce que si on parle de partage, de gestion en commun, de ressources numériques mais que jamais avant les élèves en ont entendu parler hors numérique, ils sont surpris. Alors on a essayé de faire vivre cette notion, ces idées de partage des connaissances et d’autonomie, d’esprit critique, de respect des convictions d’autrui dans les espaces communs physiques des écoles comme la bibliothèque ou les centres de documentation et d'information où je travaille.
Cela peut passer par des projets très concrets, par exemple des projets participatifs directement liés au développement durable, avec la mise en place d’une grainothèque au sein de l'établissement, ou via des projets scientifiques participatifs en collaboration avec des associations de protection des oiseaux. L'objectif est de développer la capacité d’une participation et d’un engagement dans la société.
L'école est précisément le lieu où on développe le goût d'apprendre tout au long de sa vie. L'école, c'est là où les élèves vont pouvoir apprendre au contact de personnes, de lieux, d'espaces au pluriel, qui offrent tout un tas d'opportunités d'apprentissage. Les communs permettent d'être dans le partage avec les autres et de se développer au contact des autres. Il y a là un fort enjeu d'inclusion.
Une notion centrale là derrière, c'est celle de la réciprocité. J’apprends aux autres et j’apprends des autres. Ce sont des va-et-vient perpétuels et cela passe par une réflexion sur soi, une connaissance de sa façon d'apprendre et de ses propres capacités. Souvent, quand on pose la question aux élèves «Et toi, qu'est ce que tu sais faire?», on obtient comme réponse «Rien». Mais ce n'est pas tout à fait vrai.
Il faut essayer de faire prendre conscience aux élèves qu'ils sont en capacité d'apprendre aux autres, d'apporter quelque chose à la communauté, et qu'ils ont, réciproquement, à apprendre des autres. Il faut vraiment aller creuser là. C'est important pour chaque individu, quel que soit son âge (c'est valable pour les adultes également), de se demander ce qu'on a à apporter à la communauté et ce qu'on a à apprendre de celle-ci et de pouvoir passer à l’action et s'engager. Tout à fait dans l'esprit des communs.
Hélène Mulot est professeure documentaliste et formatrice à l’académie de Toulouse. Elle a coordonné le dossier pédagogique Éducation aux Médias et à l’Information: comprendre, critiquer, créer dans le monde numérique (éd. Génération 5). Particulièrement impliquée dans la reconnaissance et la transmission des notions de communs, elle a co-signé, avec Marion Carbillet, le livre À l’école du partage. Les communs dans l’enseignement (C&F éditions, 2019).
Le jeu éducatif «Le vivier», basé sur la surexploitation des ressources librement accessibles aborde le concept de la tragédie des biens communs et invite à réfléchir à des pistes de solution.
Liens vers une panoplie de ressources numériques destinées à faciliter la préparation de vos cours.