Trois questions à Grégory Ode

Neurosciences cognitives et enseignement de l’économie

L’économie a cela de passionnant qu’elle touche directement au quotidien des élèves amenant toutes sortes de préconceptions en classe. Il s’agit d’une caractéristique qui enrichit l’enseignement, si on sait en tirer profit. En recourant aux neurosciences cognitives, Grégory Ode nous explique comment faire.

Tour d’horizon de certaines pratiques pédagogiques novatrices qui s’adaptent aux capacités cognitives des élèves avec cet enseignant chercheur dans sa classe disposant d’une longue expérience de terrain.

Iconomix: L’attention des élèves est parfois difficile à capter en classe. Que peuvent apporter les neurosciences cognitives à l’enseignement de l’économie?

Grégory Ode: Les neurosciences cognitives n’apportent pas seulement quelque chose à l’enseignement de l’économie, mais elles sont transversales. Elles apportent quelque chose à l’ensemble des disciplines scolaires. Chaque enseignant peut donc en tirer profit. L’idée centrale est d’essayer de rendre plus efficace les pratiques d'enseignement en tenant compte des mécanismes cérébraux et cognitifs à l’œuvre dans les apprentissages. Je ne suis pas spécialiste de l’attention des élèves, mais pour capter leur attention, il faut faire des liens avec leur quotidien et leur vécu. Les neurosciences cognitives nous apprennent en effet que, pour ancrer des savoirs nouveaux, il est très important de faire ces liens. Les nouveaux savoirs devraient, d’une manière générale, toujours être reliés aux connaissances antérieures des élèves. L’économie s’y prête particulièrement bien puisque c’est une matière qui est vraiment ancrée dans le quotidien des élèves, dans le monde qui les entoure. On peut par exemple les interpeller sur ce qu’ils ont vu au téléjournal ou lu sur les réseaux sociaux. Il n’y a pas mieux que l’actualité pour capter leur attention. Prenons un exemple concret: L’inflation qui touche beaucoup de pays européens actuellement. Si je devais expliquer ce phénomène à mes élèves, je les questionnerais tout d’abord sur leurs habitudes de consommation: augmentation du prix de l’essence de leur moto ou d’autres biens qu’ils consomment régulièrement. Je leur demanderais ce que ce phénomène évoque pour eux. Les témoignages recueillis constitueraient une base sur laquelle s’appuyer pour arriver à l’explication scientifique. Pour que ce que l’on enseigne fasse sens, il faut essayer de relier les nouveaux savoirs qu’on leur transmet avec ce que les élèves savent déjà ou avec ce qu’ils pensent savoir.

Vous rédigez justement une thèse de doctorat dont l’axe principal de recherche est l’analyse et l’intégration des représentations des élèves dans les dispositifs d’enseignement et d’apprentissage en économie. Avez-vous quelques exemples concrets qui pourraient se révéler utiles en classe?

Oui. Cette thèse s’ancre vraiment dans le réel. Je suis enseignant depuis quinze ans et mes préoccupations de recherche partent de la salle de classe.

Revenons à notre exemple sur l’inflation: Quand je démarre une séquence d’enseignement là-dessus, mes élèves vont avoir des préconceptions; des connaissances naïves des représentations de ce phénomène. Mon but va tout d’abord être de les faire émerger et ensuite d’en tenir compte.

Le fait que l’économie soit si proche du quotidien des élèves peut parfois se révéler un peu traitre, car, souvent, lorsque l’on a des connaissances naïves de certains phénomènes, ou de l’économie en général, on peut parfois être tenté de croire que tout est une affaire d’opinions et que tout le monde peut avoir un avis sur l’économie. Mais la réalité est un peu différente: Les phénomènes économiques sont délimités, clairement définis.

Concrètement, dans ma thèse, je vais essayer d’analyser la mise en place de méthodes, de dispositifs d’enseignement, qui intègrent les préconceptions des élèves. Si elles se révèlent fausses, incomplètes ou naïves, il s’agira de s’appuyer sur ce qu’ils savent déjà et de le transformer, pour que les élèves acceptent le changement conceptuel.

Un exemple de dispositif d’enseignement qui intègre la préconception des élèves sont les méthodes de réfutation où l’on confronte les élèves avec des textes ou contributions contenant des idées fausses et qu’eux-mêmes doivent en prendre le contrepied, grâce notamment à des ressources mises à leur disposition.

L’hypothèse c’est que d’intégrer leurs préconceptions – des choses qui font écho à ce que les élèves savent déjà – rend la mémorisation plus solide à terme. Il faut que l’enseignement fasse sens pour eux pour qu’ils s’approprient les savoirs; les enjeux liés à la mémorisation sont conséquents en termes d’apprentissage.

La «classe renversée» et le dispositif «do it yourself»: est-ce un effet de mode ou pensez-vous que c’est un réel progrès pédagogique?

Je suis très partagé. Le socio-constructivisme est aujourd’hui tendance dans de nombreux établissements d’enseignement: On met en activité les élèves, ils s’approprient en groupe les savoirs via des interactions entre pairs, etc.

J’ai rédigé un texte sur l’apport des outils numérique et le dispositif «do it yourself». Si on veut par exemple intégrer les nouvelles technologies en classe et que l’on sait que les jeunes sont hyperconnectés – attention hyperconnectés ne veut pas dire qu’ils maîtrisent bien les outils; il faut en avoir conscience – ça peut les stimuler si on les laissent travailler avec l’ordinateur et si on les met vraiment à contribution.

L’idée de la classe renversée, c’est vraiment de dire «OK, il n’y a pas mieux finalement que d’enseigner aux autres pour apprendre soi-même». Si je suis capable d’enseigner aux autres, c’est que j’ai fait toutes ces démarches de collecte d’information, d’assimilation et de restitution dont il est nécessaire pour s’approprier le savoir. L’élève enseigne aux autres et reçoit ensuite, pourquoi pas, un feedback de son enseignant. On peut se dire que c’est idéal pour s’approprier les savoirs. Jean-Charles Cailliez a par exemple obtenu de très bons résultats en classe renversée à l’université avec des élèves de prime abord assez réfractaires à la méthode.

A priori il faut dire que les élèves, notamment les bons élèves, aiment bien faire leur métier d’élève: écouter, assimiler, restituer et avoir une bonne note. Alors quand on renverse le tout ça peut être désécurisant. Et je dois dire que plus j’avance, plus je lis à ce sujet, plus je suis partagé. Steve Bissonnette par exemple qui est spécialiste de l’enseignement explicite évolue dans un tout autre paradigme. La recherche montre aujourd’hui que lorsque l’enseignement est dirigé par l’enseignant qui accompagne et qui guide, cela donne aussi de très bons résultats. Donc je dirais qu’aujourd’hui qu’il n’y a pas de recette miracle. Il faut par ailleurs rester méfiant à l’égard des innovations pédagogiques qui, malgré leur attrait, ne s’avèrent pas toujours efficaces. D’où l’importance de s’appuyer sur des données probantes pour voir quelles sont les pratiques réellement bénéfiques.

Personnellement, je pars vraiment du principe qu’un enseignant, c’est un chercheur dans sa classe. Il doit expérimenter. Et avec certaines classes, certaines méthodes vont marcher, avec d’autres pas. Avec certains niveaux d’enseignement, certaines choses vont marcher, avec d’autres pas.

En fait, enseigner, c’est un métier où il faut être réflexif tout le temps et savoir prendre du recul sur ce que l’on fait.

Grégory Ode

Enseignant d’économie et de droit au Secondaire II depuis quinze ans, Grégory Ode est aussi formateur responsable de la didactique de l’économie pour les cantons romands et chargé d’enseignement à l’Institut universitaire de formation des enseignants de l’Université de Genève. Il a récemment entrepris une thèse de doctorat en sciences de l’éducation dont l’axe principal de recherche est l’analyse et l’intégration des représentations des élèves dans les dispositifs d’enseignement et d’apprentissage en économie.

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Article de:
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