Changement climatique: instruments économiques
Changement climatique: instruments économiques

Savoir

Changement climatique: instruments économiques

Instruments économiques de la politique climatique

Du consensus international à la mise en œuvre nationale

Dans l’Accord de Paris sur le climat, la communauté internationale s’est engagée à maintenir le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2°C et à s’efforcer de limiter la hausse des températures à 1,5°C. Pour y parvenir, il est indispensable de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre dans les 30 à 40 prochaines années pour les porter à zéro émission nette. Un nombre croissant d’Etats se sont effectivement fixé des objectifs nationaux ambitieux: outre les Etats-Unis, le Canada, l’Union européenne (UE) et d’autres pays, la Suisse vise la neutralité climatique à l’horizon 2050 (pour de plus amples informations, voir le module «Changements climatiques: Politique climatique internationale»).
L’annonce d’objectifs climatiques unilatéraux doit être suivie d’une mise en œuvre correspondante. En d’autres termes, ces pays doivent veiller sur le plan national à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre jusqu’à atteindre zéro émission nette d’ici à 2050, ce qui requiert une politique climatique nationale. En Suisse, la politique climatique repose sur la Stratégie énergétique 2050 et la loi sur le CO2.
Quels outils politiques permettent d’internaliser les externalités, c’est-à-dire les effets externes, des émissions de gaz à effet de serre? Dans quelle mesure ces politiques affectent-elles certains consommateurs, et en particulier les tranches de revenu faible à moyen?

Défaillance du marché et externalités

Sur les marchés concurrentiels, le mécanisme des prix se traduit par une utilisation efficace des ressources limitées, car le prix du marché reflète correctement la rareté effective. Cela ne vaut toutefois qu’à certaines conditions. Si celles-ci ne sont pas réunies, on parle de défaillance du marché. Cette défaillance tient principalement aux externalités qui se manifestent lorsque les acteurs du marché ne peuvent pas assumer tous les coûts que leurs actes engendrent pour des tiers. Des interventions de l’Etat au niveau du mécanisme du marché, par exemple, peuvent corriger cette défaillance.
En général, les émissions de gaz à effet de serre entraînent une externalité qui conduit à une défaillance du marché. Leurs conséquences indésirables sur le climat ont un coût économique (p. ex. atteintes à la santé dues aux vagues de chaleur, dommages à la nature et aux infrastructures occasionnés par des événements météorologiques liés au climat). Tant que ces émissions n’ont pas de prix, les prix du marché des combustibles et des carburants comme l’essence ne reflètent pas ces coûts dits externes. Il n’y a aucune incitation financière à réduire les émissions, de sorte que les producteurs et les consommateurs ne prennent pas assez en considération ces coûts externes. Le volume total des émissions de gaz à effet de serre dans le monde dépasse donc largement le niveau d’émissions qui serait souhaitable du point de vue de la société. En d’autres termes, un comportement individuel rationnel n’est pas efficace pour la société dans son ensemble. De plus, les incitations sont très élevées pour les passagers clandestins (pour de plus amples informations, voir le module «Changements climatiques: coopération internationale»).
Si l’on transpose cela à nos démocraties modernes, cela signifie qu’il ne faut pas s’attendre à ce que l’économie de marché atteigne «d’elle-même» l’objectif de zéro émission nette à l’horizon 2050. Une réglementation étatique est nécessaire pour réaliser cet objectif. Les économistes plaident souvent pour des outils économiques tels que des principes ou des normes minimales, car contrairement aux interdictions, ils limitent moins la liberté de choix des acteurs du marché. Examinons maintenant les deux outils économiques les plus fréquemment utilisés dans la politique climatique, à savoir les taxes incitatives et les marchés des certificats.

Taxes incitatives et marchés des certificats

En cas de taxe incitative, une redevance publique comparable à un impôt est prélevée par tonne de CO2. Les acteurs du marché concernés par cette taxe doivent verser à l’Etat un montant précis pour chaque tonne de CO2 qu’ils émettent. Cela renchérit la production ou la consommation des produits et services riches en CO2, incitant les producteurs et les consommateurs à émettre moins de CO2: soit ils adoptent des produits moins gourmands en CO2, soit ils adaptent leurs processus de production pour réduire les émissions de CO2 correspondantes. La Suisse a mis en place une taxe incitative sur le CO2 qui grève les combustibles. Depuis janvier 2018, cette taxe s’élève à 96 francs par tonne de CO2, soit une hausse d’environ 25 centimes par litre de mazout.
En cas de négoce des émissions, l’Etat délivre un certain nombre de certificats qui donnent le droit d’émettre 1 tonne de CO2. Tout acteur du marché qui est assujetti au marché des certificats doit remettre un certificat correspondant pour chaque tonne de CO2 émise. Ces acteurs peuvent négocier librement les certificats sur le marché secondaire. Les prix des certificats y reflètent les coûts supplémentaires induits par la réglementation. Comme pour la taxe incitative, ce mécanisme incite à consommer ou à produire moins de produits riches en CO2 ou à accroître l’efficacité carbone de la production. La Suisse a mis en place un négoce des émissions pour les gros émetteurs. Depuis janvier 2020, son système est couplé au système européen d’échange des quotas d’émission. En d’autres termes, les certificats des deux systèmes de négoce sont considérés comme équivalents.
Ces deux outils économiques accroissent les coûts des émissions de CO2 et incitent dès lors à émettre moins de gaz à effet de serre. Mieux vaut donc investir dans un système de chauffage sans CO2 comme une pompe à chaleur pour éviter de devoir payer la taxe sur le CO2 prélevée sur le mazout ou le gaz naturel. En outre, les réductions des émissions de CO2 sont réalisées dans les domaines où elles induisent le moins de frais: pour chaque unité de CO2, un consommateur ou un producteur se demande s’il est préférable de l’émettre et de s’acquitter du prix correspondant sous la forme d’une taxe ou d’un certificat ou bien de l’éviter. D’un point de vue économique individuel, la prévention est toujours judicieuse lorsqu’elle est plus avantageuse que l’émission. Par conséquent, plus le prix des émissions est élevé, plus leur volume diminue. 
Le montant de la taxe incitative sur le CO2 reflète directement le prix de ces coûts supplémentaires. Toutefois, on ignore a priori l’ampleur du recul des émissions de CO2, car elle dépend de la modification des comportements des acteurs du marché. C’est exactement l’inverse sur le marché des certificats: l’Etat définit le volume des émissions de CO2 admises à travers le nombre de certificats émis. Le prix de ceux-ci varie donc en fonction de la demande correspondante au niveau des acteurs du marché.

Effets de répartition des taxes incitatives et des marchés des certificats

A première vue, une taxe incitative ou un marché des certificats semblent désavantager les acteurs du marché, car ceux-ci doivent désormais s’acquitter d’un prix pour leurs émissions de CO2. Par ailleurs, on argumente souvent qu’un tarif (plus élevé) du CO2 affecte davantage les tranches de revenu faible à moyen principalement, car il renchérit surtout le coût du logement et de la mobilité, qui représentent une part plus importante du revenu de cette population.
Ce n’est pas forcément le cas. En cas de taxe incitative, les acteurs du marché doivent certes la payer à l’Etat, mais l’effet de répartition dépend de l’utilisation des fonds ainsi récoltés. En Suisse, la taxe sur le CO2 est reversée aux deux tiers aux consommateurs et aux producteurs (le tiers restant alimentant un fonds pour le climat qui finance le Programme Bâtiments en vue d’un habitat durable). En 2020, les ménages privés ont ainsi bénéficié d’une réduction forfaitaire de leurs cotisations d’assurance-maladie de 87 francs par personne. Si cette redistribution forfaitaire était de 100%, le citoyen suisse lambda ne serait absolument pas affecté sur le plan financier, car il récupérerait précisément le montant qu’il a versé au titre de la taxe sur le CO2. Les personnes dont les émissions de CO2 sont supérieures à la moyenne supporteraient une charge nette, tandis que celles dont les émissions de CO2 sont inférieures à la moyenne auraient, en termes nets, davantage d’argent dans leur poche qu’en l’absence de taxe sur le CO2. Or, les tranches de revenu faible à moyen font partie de la seconde catégorie. Elles bénéficieraient donc du système de redistribution sur une base nette.
Il est important de comprendre que la redistribution du produit de la taxe incitative ne supprime pas pour autant les effets de cette dernière. Cette taxe repose sur la variation des prix relatifs entre les biens et services riches en CO2 et les autres: le chauffage au mazout est relativement plus cher qu’une pompe à chaleur, indépendamment de cette éventuelle redistribution et de la façon dont elle est mise en œuvre. 
L’effet de répartition des marchés des certificats dépend de la manière dont ces derniers sont remis aux acteurs du marché. En l’espèce, il existe essentiellement deux possibilités: l’attribution à titre gracieux et la mise aux enchères des certificats. Dans le premier cas, l’effet de répartition est fonction du nombre de certificats reçus par les différents acteurs. Dans le système suisse d’échange des quotas d’émission, l’attribution se base sur une référence (benchmark). En d’autres termes, le nombre de certificats attribués aux différentes entreprises équivaut à celui dont les sociétés les plus efficaces du secteur concerné auraient eu besoin pour la production de l’année précédente. Si le total ainsi calculé des certificats est supérieur au volume global des certificats à émettre, toutes les attributions sont réduites à la quantité disponible à l’aide d’un facteur de correction. 
Depuis janvier 2021, tous les certificats sont mis aux enchères auprès des entreprises réglementées de la plupart des secteurs dans le système européen d’échange des quotas d’émission (exceptions: industrie métallurgique et cimenteries). Le produit de ces enchères est réparti entre les Etats membres de l’UE selon une clé fixe, les pays les plus pauvres étant privilégiés. Les gouvernements des pays concernés décident de l’utilisation de ces fonds.

Mise en œuvre politique des objectifs climatiques nationaux

La taxe incitative et le marché des certificats conviennent tous les deux pour mettre en œuvre les objectifs nationaux de réduction des émissions de CO2. Leur impact présente toutefois de légères différences. L’avantage du marché des certificats réside dans le pilotage direct des émissions: pour obtenir une diminution précise de ces dernières, il suffit de ne mettre en circulation qu’un volume correspondant de certificats. Le prix d’un certificat dépend cependant de l’offre et de la demande sur le marché secondaire et peut afficher des fluctuations considérables. Le montant de la taxe incitative est en revanche fixe; néanmoins, on ignore a priori l’ampleur du recul des émissions pour une taxe donnée.
Un système dual s’est donc établi tant en Suisse que dans l’UE. Les acteurs privés du marché sont principalement invités à réduire leurs émissions grâce à des taxes incitatives, tandis que les entreprises sont surtout réglementées par l’intermédiaire des marchés des certificats. D’un point de vue économique, ce système dual est cependant inefficace si le prix d’une tonne de CO2 n’est pas harmonisé dans les deux composantes, comme c’est effectivement le cas: les entreprises suisses régulées via le négoce des émissions déboursent actuellement près de 50 euros pour un certificat d’émission d’une tonne de CO2, tandis que les ménages privés suisses paient 96 francs pour une tonne de CO2 au titre de la taxe sur le CO2 prélevée sur le mazout et le gaz naturel.
Sur le plan tant national qu’international, la tarification des émissions de gaz à effet de serre est le principal instrument politique pour atteindre à long terme zéro émission nette. Des mesures supplémentaires sont néanmoins nécessaires en fonction de la situation locale. On peut citer comme exemple l’interdiction des systèmes de chauffage fossiles, comme le prévoyait la révision de la loi sur le CO2 qui a été refusée en votation le 13 juin 2021. Le projet de loi entendait les interdire dans les bâtiments neufs à partir de 2023. Pourquoi faut-il une interdiction si les externalités négatives des systèmes de chauffage fossiles sont déjà internalisées dans la taxe sur le CO2? Cela tient aux caractéristiques du marché immobilier suisse. 
Près des deux tiers de la population suisse sont locataires. Un bailleur peut répercuter à ses locataires les frais annexes comme les frais de chauffage. Il prend en charge les coûts d’installation du système de chauffage, mais les locataires assument les frais courants tels que la maintenance et le coût des combustibles. Les bailleurs ne sont donc guère incités à adopter un système de chauffage neutre en CO2, car ils ne paient pas eux-mêmes la taxe sur le CO2, mais la reportent sur leurs locataires. Les chauffages au mazout ou au gaz ont effectivement des coûts d’installation relativement faibles, mais des frais courants plus élevés qu’une pompe à chaleur par exemple, même si celle-ci est en général plus avantageuse sur l’ensemble du cycle de vie. D’un autre côté, les locataires ont rarement la possibilité de chercher leur appartement en fonction des frais annexes. 
En résumé, la tarification des émissions de gaz à effet de serre par l’intermédiaire de taxes incitatives ou de marchés des certificats constitue une politique nationale efficace pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2. Dans l’idéal, le prix devrait être indépendant du secteur ou du processus générant ces dernières. En outre, des mesures politiques supplémentaires sont nécessaires lorsque des frictions sur le marché atténuent l’effet incitatif d’une hausse du prix des émissions, comme c’est le cas sur le marché immobilier suisse. L’effet de répartition d’une politique climatique dépend de l’utilisation des fonds. Il est toujours possible de ventiler les charges de telle sorte que les tranches de revenu faible à moyen n’aient pas, en termes nets, des revenus inférieurs à ceux dont elles disposeraient en l’absence de réglementation.